Crise entre le chef de l’Etat et le chef d’état-major des armées : retour sur une guerre médiatique inédite
Date1 août 2017
Type
Articles
Suite à mon intervention dans la Médiasphère sur LCI le 20 juillet*, je vous livre mon analyse sur cette guerre médiatique inédite.
Suite à mon intervention dans la Médiasphère sur LCI le 20 juillet*, je vous livre mon analyse sur cette guerre médiatique inédite.
Depuis le 13 juillet, la France connait une crise politico-militaire sans précédent par son impact médiatique. Depuis des décennies, plusieurs crises ont éclaté entre le monde politique civil et le monde militaire. On peut se rappeler l’affrontement entre le Président américain Truman et le Général Macarthur à propos de la décision d’utiliser la bombe nucléaire en Corée. Pourtant Commandant suprême des forces alliées, grand communicant et fort de son expérience dans la Guerre du Pacifique, le Général Macarthur fut écarté par Truman[1]. En France, l’équilibre des relations se joue surtout sur les personnalités du chef de l’Etat, du ministre de la Défense et du CEMA.
Chronologie des faits : une rupture inédite
Le quinquennat de François Hollande était plutôt marqué par une relation de confiance entre le ministre de la Défense Jean-Yves Le Drian, le chef d’état-major des armées Pierre de Villiers et le Président de la République. Le CEMA avait même tendance à s’effacer face à la personnalité médiatique de Le Drian. Le monde militaire a pu le déplorer, mais la relation était efficace et franche.
La veille du 14 juillet, date symbolique pour les armées, Emmanuel Macron a reproché publiquement au chef d’état-major des armées d’avoir critiqué les problèmes budgétaires des armées, et il a notamment rappelé qu’il était « le chef ». Pierre de Villiers a, en effet, exprimé son désaccord lors de la Commission de la défense nationale et des forces armées de l’Assemblée nationale. Cette commission se déroulait à huit clos mais les paroles du Général ont « fuité », délibérément ou non : « Je ne vais pas me faire baiser comme ça ! ». En même temps, Bercy déclarait publiquement cette coupe budgétaire de 850 millions d’euros dans le surcoût des OPEX et des équipements. Très mauvais timing de communication. S’y sont mêlés le porte-parole du gouvernement (Christophe Castaner) et la ministre des Armées (Florence Parly), qui ont répliqué que le CEMA n’avait pas de responsabilité budgétaire.
Le 14 juillet, la rencontre publique fut glaciale. Le soir, le CEMA publia sur son blog la « lettre à un jeune engagé : pensées du terrain » qui a rapidement été perçue par le gouvernement et l’opinion publique comme une contre-attaque.
C’est pourquoi le 16 juillet, le Président a accordé une interview au Journal du Dimanche, où il a rappelé son rôle de chef des armées (« Si quelque chose oppose le chef d’état-major des armées au président de la République, le chef d’état-major des armées change ») et de protecteur des soldats (« Moi j’ai des soldats sur des théâtres d’opérations, des gens qui attendent beaucoup, je les respecte, je leur dois, la protection »)[2].
Le 19 juillet, le Général de Villiers a démissionné et publié un dernier billet sur son blog, qui a eu une forte retombée médiatique sur les réseaux sociaux. Emmanuel Macron avait pourtant pris la décision de prolonger le Général à son titre de CEMA d’une année quelques jours auparavant. C’est la première fois sous la Ve République que le CEMA démissionne.
Cette démission a été respectée par le Président. Cependant, le porte-parole du gouvernement a relancé le débat par sa comparaison du Général à un « poète revendicatif ».
On remarque alors qu’Emmanuel Macron a écarté Jean-Yves Le Drian de la Défense, ainsi que trois de ses collaborateurs qui ont œuvré pour tous les contrats de l’industrie de défense : le chef d’état-major des armées, le Général Pierre de Villiers ; le délégué général pour l’armement, Laurent Collet-Billon ; et enfin son directeur de cabinet, Cédric Lewandowski. Le Président rassemble le pouvoir décisionnel autour de lui.
Une communication efficace de Pierre de Villiers
Le 13 juillet a été perçu comme une humiliation au sein des armées. Le Général était en guerre contre les restrictions budgétaires et il avait décidé de le faire savoir d’une façon ou d’une autre publiquement. Cette fuite verbale fait partie de sa communication.
Il faut prendre en compte le fait que l’opinion publique est très favorable aux armées et à l’augmentation du budget de la défense. Selon un sondage réalisé par Ifop en mars 2017, 82% des Français souhaitent que le budget de la défense soit maintenu ou augmenté. De plus, il existe un réel ras-le-bol des militaires pour renouveler les matériels usés face à l’augmentation des OPEX et la prolongation de l’état d’urgence. Il y avait donc un terreau qui ne demandait qu’à être arrosé.
Peu de temps après la publication de sa démission, le compte Twitter de l’Etat-major des armées a publié une vidéo de la haie d’honneur pour le Général en présence du personnel du Ministère des Armées. Cette image a fait le tour de France et a créé un élan de sympathie envers lui, ainsi qu’un élan de colère contre le gouvernement. C’est un très bon point de communication car en réalité, ce genre de salutations vaut pour tout départ de ministre.
Quelques jours avant sa démission, Pierre de Villiers menait déjà la danse. D’une part, il maitrisait le facteur temps en contrôlant l’affrontement médiatique. D’autre part, il maitrisait l’opérationnel : ayant rendez-vous avec Macron pour un nouveau recadrage le 21 juillet, il déposa sa démission le 19 juillet (il avait, par ailleurs, pris sa décision le 14 juillet)[3]. Il a aussi réussi à unifier l’opposition politique contre le Président et en faveur des armées.
Désormais, le Président ne peut pas se permettre une nouvelle démission et doit maintenir ses promesses budgétaires de campagne.
Emmanuel Macron était-il en faute ?
Dans son programme présidentiel, Macron promettait de réaugmenter le budget de la défense à 2% du PIB en 2025, soit 50 milliards d’euros. Dès le lendemain de son élection, le président Macron a joué sur les symboles militaires en rendant visite aux soldats de l’hôpital militaire de Percy pour sa première visite officielle ou en insistant sur son rôle de chef des armées lors de son déplacement au Mali. Maître de la dissuasion nucléaire, il a visité le SNLE français Le Terrible le 4 juillet. Il a aussi remonté l’avenue des Champs Elysées sur un véhicule militaire. Enfin, le 20 juillet, il s’est rendu sur la base aérienne d’Istres en combinaison de pilote.
D’abord respectés, ses essayages d’uniforme sont désormais détournés et dénoncés comme un jeu d’acteur.
Il est reproché à Emmanuel Macron d’avoir une mauvaise compréhension de la culture militaire. Les spécialistes de la défense critiquent la nomination d’une « technicienne » à la tête du ministère des Armées et leur manque de sensibilité aux questions de respect et de hiérarchie dans la sphère militaire. Jusqu’à l’incident, Macron était respecté pour son autorité. L’opinion perçoit désormais une forme d’autoritarisme[4].
La réponse du chef de l’Etat à l’hôtel de Brienne n’était pas convaincante. Déclarer « je suis le chef » n’est pas suffisant, il faut prouver sa stature de dirigeant. Dans le privé, une entreprise ne peut pas seulement déclarer publiquement qu’une installation respecte les normes de sécurité sans les certifications nécessaires. Le devoir de transparence exige des preuves. Par exemple, le manque de transparence de l’entreprise Tepco après l’incident de Fukushima s’est directement retourné contre ses dirigeants alors qu’ils déclaraient pouvoir maitriser la situation dramatique et que le tsunami était imprévisible[5].
Néanmoins, les propos du Général n’étaient pas respectueux et Macron s’est rattrapé le 19 juillet en cadrant sa réponse sur les budgets. Une grande partie de l’opinion publique continue à croire en Macron et au fait qu’il réussira à appliquer son programme. Le Président a pris un risque maladroit et il n’a pas anticipé les retombées médiatiques.
Il existe désormais une crise de confiance entre le Président et les militaires, et les 2% promis ne deviennent qu’un symbole. Les militaires défendent « le devoir d’alerte » du CEMA et ils attendent que les objectifs militaires rencontrent les objectifs politiques.
Un bras de fer continu entre Bercy et Balard
Le bras de fer est plutôt une continuité d’affrontements entre Balard et Bercy qu’entre les deux hommes. Après les attentats de 2015, le Général de Villiers avait convaincu le Président Hollande de ne plus baisser les effectifs et le budget des armées, demandés par le ministère de l’économie et des finances. La fin de la Guerre froide avait entrainé des coupes budgétaires au sein des armées et un amoncellement des dettes. A chaque redéfinition du budget dans les Lois de programmation militaire, Bercy et Balard se rencontraient et le Président de la République tranchait. D’ailleurs, le Général de Villiers a fait savoir que l’expression « se faire baiser » visait plutôt Bercy que le Président.
Pour le moment, le Président Emmanuel Macron a perdu la confiance des militaires. Le nouveau chef des armées, le Général François Lecointre, n’aura pas la vie facile et sera scruté par tous.
[1] Il faut noter que Macarthur avait aussi perdu de vue les objectifs politiques en Asie et aux Etats-Unis (des élections présidentielles étaient en cours). Source : http://ultimaratio-blog.org/archives/8460.
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